mercredi 17 avril 2013

Ma vie quotidienne au Cap

         Je profite de ce jour de pluie particulièrement dégueulasse pour vous redonner des nouvelles, navré pour cette longue absence bloguienne ! Par ailleurs, il est largement temps de vous donner un aperçu de ma vie quotidienne, car non, je ne suis pas seulement un esprit flottant parmi le ciel (aujourd'hui nuageux) des idées géographiques.

Le 27, Grimsby Road

          Vous connaissez maintenant l'adresse que j'ai depuis deux mois. Comme le sauront mes plus fidèles lecteurs hypermnésique,  c'est à Sea Point, sur la côte au nord-ouest du centre-ville.Plus précisément en fait, je suis à Three Anchor Bay, Sea Point commençant au pâté de maison d'à côté. Mais comme me le disait en substance une Allemande venue braaier un soir : "verdammte Wichser ist tot, was haben wir denn, um einen Unterschied zu klein schlagen" (traduction : au fond, on n'en a rien à battre). Le quartier en lui même est sympa, bouge un peu (mais moins que Long Street ou Waterkant). Le building voisin est un Ritz, mais apparemment c'est un faux. J'ai même entendu l'expression "the less ritzy Ritz", je pense qu'ils ont un gros problème de communication. On peut faire ses courses dans le quartier, imprimer ses questionnaires, manger de tout (au moins asiat', italien, "africain", indien à ma connaissance), aller au cyber café, sortir boire un verre ou en boîte glauque... C'est plutôt vivant. Et surtout, c'est relativement sûr la nuit. Aucun souci en marchant, même seul, sinon de tomber sur l'occasionnel sans-abri un peu trop insistant.
          Nous partageons une chambre avec Etienne, un autre étudiant français en mémoire de Master. Il travaille sur Bo Kaap, un quartier qui fera bientôt l'objet d'un article. C'est une ravissante maison d'étudiants, nous sommes sept à l'intérieur, plus Moka, un chat. Bon, autant les murs en jettent, autant les meubles et autres portes tirent un peu la gueule. Le frigo est à deux doigts de s'effondrer sur lui-même, la machine à laver a été en panne bien une semaine, je ne vous parle pas de la douche, et on a dû vivre un certain temps sans serrure à la porte de notre chambre. La piscine a généralement une couleur vert d'eau, du moins plus "vert" que "d'eau". Mais bon, c'est pas comme si j'avais eu l'intention d'investir dans la pierre de Grimsby ! Et au fond, on y est pas si mal. Surtout, c'est à cinq minutes à pied de la promenade de Sea Point, ce qui est parfait pour moi. A titre informatif, on paie chacun 3000 rands, soit dans les 280 euros. C'est quand même plus qu'honnête, considérant qu'on est dans une des villes les plus hype d'Afrique.

Afrique du Sud : boostez votre pouvoir d'achat

          Pour résumer, tout l'alimentaire et la boisson voit son prix divisé par deux par rapport aux prix auxquels je suis habitué en France. Un super restaurant, classieux et tout, se trouve pour une vingtaine d'euros. La bière peut même être moins chère qu'en Irlande, où j'avais fini par dégotter des pintes à un euro en happy hour. A quelques pas de chez nous, on trouve même de très honnêtes cocktails à 25 rands, soit dans les deux euros, dans un cadre tout à fait agréable. Autant vous dire qu'il y a moyen de se faire plaisir. Le seul souci, c'est de ne pas tomber dans le piège du "ça ne coûte pas cher, donc je dépense sans compter". Ah, et bien sûr n'oubliez pas de "tiper", le service n'est pas inclus.
          D'autres choses sont nettement plus chères, par contre, je pense particulièrement aux livres. Pour un livre de poche neuf, pas particulièrement long, ouvragé ou illustré, il faut compter entre 150 et 200 rands. C'est peut-être le problème de l'Afrique du Sud, en fait : chez nous, on a deux livres pour le prix d'un cocktail... eux, ils ont six cocktails pour le prix d'un livre. Bref, ne vous attendez pas à ce que je vous ramène de la littérature sudaf en cadeau, les gars (ou préparez d'ores et déjà le shaker et la glace pilée, j'aurai soif).

Un système de transport... original

          Les transports au Cap, c'est tout un poème (il en existe d'ailleurs un recueil, La poésie du minibus, je crois). L'idée, c'est qu'il faut avoir une voiture, même au centre. Marqueur social autant que moyen de déplacement, elle donne surtout accès aux environs de la ville. Inévitable pour les gens des banlieues blanches un peu éloignées, à l'américaine. Le truc sympa, pour avoir un peu conduit moi-même, c'est qu'il est très facile de se garer un peu n'importe où, même en centre-ville. Comme dans les films où le type débarque, et trouve direct une place de dix mètres de long en face du lieu où il se rend. Faire un créneau relève ici de la légende urbaine. Après ça, il est de bon ton de laisser quelques rands aux très nombreux Parking marshalls qui parcourent les trottoirs, aident à se garer et surveillent l'auto.
Ambiance pépouze ( mais on se retrouve parfois à plus d'une quinzaine dans ces trucs)
          Autre moyen de transport incontournable : le minibus taxi. Il existe des lignes, mais pas vraiment d'arrêt : il suffit d'attendre un instant au bord de la route pour se voir proposer de monter. Le gars vous dépose n'importe où sur la ligne, parfois au beau milieu de la rue. Le chauffeur a généralement un associé,  le catchie, qui gueule la destination par la fenêtre et vient vous alpaguer lors des (brefs) arrêts du minibus. Ils sont dotés de pouvoir surnaturels : pas plus tard qu'hier, il a bien fait cinquante mètres pour venir nous chercher dans une rue perpendiculaire alors que nous descendions sur Main Road, après que j'ai eu dit à l’Étienne "dommage, on n'aura pas celui-là"... je ne croyais pas si mal dire ! La musique est généralement bonne, et surtout assez forte. Avoir moins de 500 watts d'enceintes dans le bouzin semble condamner le proprio du minibus au déshonneur. Il faut aussi savoir que cette belle industrie a un fonctionnement quelque peu mafieux. A la fin de l'apartheid, quand le centre-ville a été ouvert aux conducteurs de minibus taxis (qui étaient jusque-là cantonnés aux townships), les gonzes se sont affrontés au cours des fameuses Taxi Wars qui firent des centaines de morts parmi les conducteurs et les passagers, pour le contrôle des différentes lignes. Encore récemment, à l'ouverture d'un nouveau centre commercial, deux syndicats se sont à nouveau affrontés... Bref, ambiance GTA Vice City in da street.
          L'essentiel des déplacements peut se faire à pied une fois dans le centre. Après tout, c'est quand même la ville de colons hollandais, à la base. J'en profite pour caser le montage "aperçu du centre-ville" pour répondre à ceux qui voulaient savoir quelle tête le paysage urbain pouvait bien avoir. Rien de très étonnant pour un Occidental, à vrai dire. Les routes sont plutôt plus larges, les bâtiments ou moins hauts que chez nous, ou beaucoup plus hauts (dans le CBD particulièrement). M'enfin c'est pas New York non plus : la ABSA Tower ne fait jamais que 32 étages, par exemple, ce qui est du même ordre que la tour Oxygène à Lyon. Par contre, le 31e étage vaut le détour : il abrite le Club 31 (logique), une boîte qui tient le haut du pavé au Cap. Ca vaut le détour, ne serait-ce que pour la vue sur tout le centre-ville de nuit. L'entrée est relativement chère pour l'Afrique du Sud, une centaine de rands je crois.

          Je n'en rajoute pas plus, en espérant que ce petit tour du quotidien vous aura plu. Faut bien que je me garde des détails pour le retour ! Prochain article : Bo Kaap ou la Garden Route. A bientôt !

samedi 23 mars 2013

Recherche de terrain, terrain de la recherche

          Aujourd'hui, c'est mon terrain de recherche que je vous présente : la promenade de Sea Point. Sea Point est un quartier périphérique du Cap, situé au nord-ouest de la ville. On pourrait à la limite se croire encore au centre-ville, le quartier étant plutôt aisé (voire franchement chic) et densément peuplé. Mais Sea Point en est séparé par Signal Hill, classieuse discontinuité spatiale : la colline fait quelques centaines de mètres de haut, et n'est pas bâtie. Sea Point est donc une sympathique plaine littorale enchâssée entre la montagne(tte) et l'océan Atlantique. La promenade est une bande piétonne aménagée qui court tout le long du littoral sur quelques kilomètres (carte)

NOTE : pour ceux qui seraient venus appâtés par l'histoire de mon pickpocket de Long Street, patientez jusqu'en fin d'article... ;-)

NOTE 2 : comme le rétorqua Pauline à Caroline (que je salue toutes deux), vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.

Première réaction : c'est beaaaau !

Bon, je triche un peu, c'est juste à la limite sud de la promenade, et on voit Bantry Bay plus que Sea Point
          Faut bien avouer que mon terrain n'est pas le plus désagréable qui soit. Comme l'a résumé ma logeuse : "beautiful place, beautiful people" (d'aucuns diraient qu'on a le terrain qu'on mérite). Autre éclairage intéressant fait par une russo-londonienne qui est venue écrire ses cartes postales sur mon banc tandis que je faisais mes comptages habituels : ça ressemble à la promenade des Anglais, ça, ma bonne dame ! Bon, ç'aurait été cool qu'elle soit Sud-africaine, venant d'une Russe c'était un peu moins une info-pépite pour la recherche géographique française.
          Y a tout ce que j'aime, en plus :
  • des gens gentils. On doit tourner à 80/90% de réponses positives à mes demandes de questionnaires. Quand on sait que la plupart des Sud-africains ont une légère hystérie paranoïaque et un amour inconditionnel pour leurs concitoyens, c'est pas si mal. M'enfin je suis injuste : globalement, les Capetoniens sont très sympas.
  • des bateaux. Car oui, rappelons-nous que le Cap de Bonne-Espérance (ou Cap des tempêtes, selon la météo) est à quelques encablures d'ici et que c'est toujours un haut-lieu de trafic maritime. A ce propos, je crois avoir été victime d'une hallucination : jugez vous-mêmes, si c'est pas à la caravelle de Bartolomeu Dias !
  • des glaces géantes.
  • une magnifique lumière.



Deuxième réaction : mais c'est que ça pourrait même être intéressant à étudier !

           Eh oui, je suis quand même là pour le travail. Et comme certaines personnes, tel mon vénérable padre, ont pensé : "en fait, tu vas faire du tourisme", il me faut clarifier les choses.
          L'idée, c'est de savoir si oui ou non la promenade est un authentique espace public, à savoir un lieu accessible par tous, où l'on retrouve peu ou prou toutes les composantes de la société capetonienne, et que les gens y interagissent si possible dans un cadre juridique ni marchand, ni privé. Le problème, c'est qu'assez vite j'ai eu envie de répondre : ben... oui. Ca marche, sans déconner. Au bout de deux jours de terrain, ça la foutait mal. Mais assez vite, on s'aperçoit de deux choses :
  • ce genre d'espace est exceptionnel dans une ville comme le Cap. Les populations y sont hyper ségrégées, au sens où les noirs habitent ici, les métis là, les blancs anglophones plutôt ici, et les blancs afrikaners de préférence là (oui, ils se distinguent même entre blancs). Et y a pas encore très longtemps, les non-blancs n'avaient théoriquement pas même le droit de se pointer en ville sans un passeport intérieur et une bonne raison, style faire un boulot ingrat et mal payé. Je vous parle même pas des bancs "white only". Des b(l)ancs, quoi, hahaha.
  • en fait, c'est pas si varié que ça. Il y a même toute une série d'illusions d'optique qui font que les blancs du coin, par exemple, estiment que c'est un espace hyper ouvert, qu'on retrouve toutes les composantes de la société arc-en-ciel, que tout le monde peut venir... Alors qu'à en croire l'un de mes comptages, il y avait 75% de blancs présents. Rappel : ils sont moins de 20% dans la province entière... Un couple métis me l'a fait remarqué en mode "regarde tous ces blancs, tu trouves vraiment ça aussi varié qu'on le dit ?".
Cela étant, je ne vais pas rentrer dans les détails de la profonde réflexion, englobante et humaniste, que je suis en train de mener ici. Mais ça vous donne une idée des questions qu'on peut se poser. 
          Quant au travail de tous les jours, ça consiste en observations (genre surprendre une conversation, voir quelles sont les activités des gens, leur rapport à l'espace...), comptages (quelle répartition "raciale" des usagers, quand sont les pics de fréquentation....), photographies et entrevues (ou des petits questionnaires avec les gens abordés dans la rue, ou des entretiens plus formels avec des élus, associations et autres officiels)... sans compter le moulinage de tout ça : saisir les comptages dans un tableurs, transcrire mot à mot les entretiens enregistrés, trier les photos pour ne conserver que les PIG. Sans compter ce blog, petits veinards qui saignez ma productivité à blanc.

Troisième réaction : mais c'est que c'est déjà long, tout ça

          Une partie de mon lectorat m'ayant rapporté que ces articles étaient décidément trop longs, je m'arrête là, malgré que j'en aie. C'est bien simple, la promenade, je pourrais presque écrire un mémoire dessus. Vous aurez donc droit à une deuxième partie. Sans compter la poignée d'élus parmi vous qui vont devoir se taper la relecture du mémoire, héhé (ils se reconnaîtront).

Section BONUS : comment je me suis fait tiré mon portable à Long Street

          Long Street, c'est la grande artère festive du centre-ville, où on trouve toujours un petit quelque chose à faire les soirs d'ennui. Sur le chemin entre un sympathique bar à ciel ouvert situé au sommet d'un petit immeuble, Tjin-Tjin, et le non moins sympathique Neighbourhood, un type rigolard commence à marcher à ma hauteur en désignant ma chaussure. Je regarde ma chaussure, puis le gars, puis ma chaussure. Il commence à me secouer le mollet, entre l'invitation à danser et le "mais tu vois pas que t'as marché dans une m...., amigo ?". Bref, l'incompréhension. Touché par la grâce, du moins doté d'une sensibilité fessienne hors du commun, je porte la main à ma poche arrière gauche et sors au mec : "hey, you took my cellphone !". Admirez le sens de la répartie : simple, factuel. Et là.... le type éclate de rire, me rend mon bigo, répond "je savais bien que tu t'en rendrais compte !", me serre la main et se casse, limite en me faisant au revoir. Quand je vous disais qu'ils étaient sympas, ces Capetoniens ! ;-)

vendredi 8 mars 2013

"Afrique du Sud, terre de contraste" (M2H)

          Jeudi, nous avons fait un grand tour des townships du Cap avec Etienne, ma directrice de mémoire et une prof française. L'idée était de nous faire prendre conscience de l'énorme contraste entre le centre-ville cossu niché sur la plaine littorale au pied des montagnes, et l'immensité des Cape Flats de l'autre côté de Table Mountain, où la vie est nettement moins riante (une jolie carte pour vous repérer). Nous n'avons pas été déçus du voyage...

          Notre périple commence sur la N2, direction Langa, juste à côté de Bonteheuwel que vous connaissez déjà. Signalons au passage l'excellence du travail fait par les équipes des ponts et chaussées sud-africains : les routes sont nickel, bravo les gars. Langa est le plus ancien des townships du Cap, puisqu'il date de 1927, avant même le début de l'Apartheid (1948-1994, pour rappel). Pour aller très vite, on parquait les gens dans les townships selon leur "race" afin que les blancs résident au centre et les autres en périphérie. Les noirs et les colored/métis n'étant tolérés en ville que pour y travailler au service des blancs, pas pour profiter de la vue ou faire des emplettes chez Dior avec leurs salaires que vous imaginez colossaux.

Un hostel de Langa
          Langa était donc un township "noir". Nous ne nous sommes pas tellement arrêtés dans la partie "familles" du quartier. Depuis le temps, les gens ont eu le temps de s'installer un peu mieux. Imaginez de longs alignements de petites maisons de plain-pied, avec parfois un petit mur de clôture, un jardinet, voire une place pour une éventuelle voiture (les plus chics ont même un garage). Bref, un habitant de township n'est pas forcément pauvre, et un township n'est pas nécessairement un bidonville. Certains vous ont l'air de lotissements pavillonnaires modestes, pour tout dire. Il y existe aussi des bâtiments collectifs pour entasser loger les travailleurs dits célibataires, puisqu'après tout ces braves gens n'avaient d'intérêt que leur force de travail, les blancs ne tenaient pas à ce qu'ils commencent à ramener toute la smala pour s'installer durablement. Ces belles bâtisses qui font honneur à l'architecture sud-africaine portent le doux nom d'hostels, et sont des lieux chaleureux et conviviaux, jugez vous-mêmes.

Chèvres, décharge sauvage et habitat social
          Après cela, direction Gugulethu, autre vaste township au sud-est. Celui-là est un peu plus connu, voire touristique. Après avoir passé la voie ferrée (qui sépare commodément les quartiers entre eux), l'ambiance change quelque peu. Le cheval, plus belle conquête de l'Homme, y côtoie la chèvre, chère surtout à Monsieur Seguin. Derrière les chèvres de la photo, un terrain vague se transforme en beau quartier d'habitat social. Les clapiers charmants cottages en arrière-plan, qui doivent bien taper dans les 28,7 m² (loi Carrez), accueilleront bientôt des familles, dont on espère que les membres ne seront quand même pas trop costauds, rapport au risque d'asphyxie. Mais Gugulethu, c'est aussi Mzoli's, où même les moins téméraires des habitants du centre consentent à aller pour faire un barbec' (ou braai, pour mes plus fidèles lecteurs) le week-end. Un haut-lieu de mixité, en somme, quoique l'ambiance semble assez masculine tout de même. Reportage prévu, je vous raconterai ça. Inutile de préciser que l'éminent monsieur Mzoli est un entrepreneur soucieux de la légalité, et que son encadrement de la population est ferme, mais poli, et se passe d'hommes de main. C'est aussi lui qui est à l'origine du centre-commercial du patelin. Pas de photo : prenez votre voiture, faites dix minutes d'autoroute, et vous aurez le même à deux pas de chez vous. Comme quoi, je vous disais que tous les townships n'avaient pas nécessairement des allures de bidonvilles !


Façades de Nyanga
Divertissement assuré à Nyanga
          Après "Gugs" (so local !), nous avons traversé Nyanga. Le bled a son charme, mais il est plus discret, le charme. Il n'y a encore pas si longtemps, Nyanga était la capitale sud-africaine du meurtre. La compétition étant rude en ce domaine, un outsider lui a ravi le titre dernièrement. Mais on peut compter sur l'équipe locale pour rebondir, elle reste clairement en première division. Bref, nous ne nous sommes pas arrêtés pour tailler le bout de gras. Quelques photos tout de même, qui donnent une idée des façades visibles depuis la rue. On sent tout de suite que le matériau est, pour ainsi dire, un peu moins noble. Le résultat n'est pas forcément inesthétique (j'aime bien la petite blanche), mais en ce qui concerne les conditions de vie, c'est moins funky. Il faut aussi prendre conscience que peu de choses sont visibles depuis la rue dans ce genre de quartiers : l'essentiel se fait à pied au milieu des maisons auto-construites. Vous m'excuserez de n'avoir pas poussé "the township experience" jusque là. Une dernière pour la route de Nyanga, ou plutôt juste avant Nyanga : le cimetière avec un squatters' camp en arrière-plan (qui est lui illégal et franchement bidonvillesque, contrairement au township). Là on dirait pas, mais le cimetière est vraiment immense, merci le SIDA.

          Nous avons ensuite pris la route de Mitchell's Plain, vers le sud. Ambiance tristounette, globalement, avec pas mal de constructions tournant le dos à la route et des centres commerciaux pour seuls lieux de sociabilité. Au moins, une partie de Mitchell's Plain semble être en train de s'enrichir, au vu des améliorations apportées aux maisons et aux constructions en cours (encore un centre commercial, et même un hôpital).

          Dernière étape du tour des townships : le très grand Khayelitsha (ou Khaya) et ses centaines de milliers d'habitants. Je vous gratifie ici d'une photo panoramique à la valeur informative forte. Outre sa qualité artistique évidente, remarquez la nature sableuse du sol. Cela ne se voit pas partout, mais les Cape Flats sont en fait une vaste plaine sableuse, voire franchement marécageuse jadis. Autant dire que les premiers habitants "relogés" ici n'ont pas dû se marrer beaucoup (m'enfin c'est bien pour ça qu'on les a mis là : ils ne gênaient personne). Il paraît que le sable est une plaie pour les ménagères, notamment.
Au risque de m'avancer un peu, ça m'a l'air d'être LE township qui bouge. Ne serait-ce que par sa taille, c'est celui dont en entend le plus parler par ici. C'est un peu un front d'urbanisation pour le Cap. Il y a là plus de mouvement de population comparé aux autres townships qui, pour la plupart, commencent doucement à se densifier et à être mieux établis. Enfin, c'est ce que j'ai cru comprendre. Après tout, moi je travaille sur le front de mer d'un quartier chicos du centre-ville, je suis pas omniscient, hein.


Domaine viticole Spier
          Pour le repas de midi, nous nous sommes arrêtés dans un genre de très vieux domaine viticole (1690's), touristifié en mode château du Médoc, avec le restaurant, l'hôtel de charme... et le pinard, car il faut bien un produit d'appel. Spier de son petit nom. Et là, c'est le grand écart dans la tête. Une maison type match box (boîte d'allumettes) de township occupe à peu près lu tiers de la taille des toilettes pour hommes, et sans l'eau courante, l'électricité ni la clim, en général. Ambiance jazzy, piano à queue, terrasse tranquiloute, piscines... Et les seuls non-blancs sont bien sûr serveurs, ouvriers agricoles, ou agents de sécurité (bon, c'est vrai en ville aussi, mais je force le trait pour vous édifier). Le petit montage vous montre tout ça en images. Pour note, la cloche servait à l'époque à rameuter les esclaves éparpillés dans les vignes, on comprend que les maîtres du domaines la mettent en valeur avec fierté aujourd'hui encore ! Nous mangeâmes et bûmes très correctement, un grand merci encore à nos guides pour l'invitation. Mais après avoir eu un aperçu de l'histoire de l'esclavage au Cap à la Slave Lodge, on ne peut s'empêcher de ressentir comme un malaise à profiter d'installations qui trouvent leur origine assez directe dans l'exploitation d'esclaves un bon gros siècle durant au moins.

          Nous sommes rentrés par le nord de la ville, via Durbanville et les gated communities des banlieues de classes moyennes à aisées, blanches et plutôt afrikaner (car il y a aussi une minorité blanche d'origine britannique). Autant le dire, c'est cheum et triste à souhait, tous les lotissements ou presque sont ceinturés de murs parfois très hauts et généralement électrifiés, avec un check-point gardé à l'entrée. Ambiance repli identitaire paranoïaque. Enfin je critique pas, j'imagine que beaucoup de ces gens s'installent où ils peuvent et que l'essentiel de la promotion immobilière se fait sous cette forme. Du coup, difficile de vous en donner un aperçu, mais le pano suivant rend bien l'ambiance pour le moins morne du truc.

        En conclusion, la journée fut longue et instructive, sans aucun doute. Et nous avions définitivement besoin de nous sortir un peu du carcan confortable de Sea Point. Vivre dans un quartier tranquille à quatre cent mètres du Ritz local nous fait parfois oublier la réalité à laquelle sont confrontés 90 % des habitants de Cape Town....

          Au prochain épisode, vous en apprendrez plus sur Sea Point, justement. A bientôt, little monsters ! (spéciale dédicace à Guillaume Têteblanche ;-))

jeudi 28 février 2013

     Aujourd'hui, visite de township avec un doctorant de l'University of Cape Town (UCT), Ismail Farouk. La première partie de l'aventure a consisté à se rendre au point de rendez-vous. En effet, l'UCT comporte une foultitude de campus répartis de par la ville. Bien sûr, Upper Campus se trouve :
  1. Loin de Sea Point
  2. Sur les dernières hauteurs bâties au pied de la montagne (ce qui ne fait pas TRES haut, tout en n'en facilitant pas l'accès)
     Il a donc fallu prendre deux taxis mini-bus (article à venir) pour y aller. Autant le premier était sur la ligne habituelle Sea Point / Centre-ville, autant le deuxième... Il a fallu le trouver sur un genre de grande esplanade jouxtant la gare, un marché permanent peu amène et le Civic centre; esplanade, donc, qui fait office de gare routière. Une fois trouvé, nous n'avons pas été déçus du voyage : entassés à une vingtaine dans un minibus vieux modèle, le chauffeur à la veste Manchester United est parti en trombe vers le sud-est, slalomant entre les (files de) voitures, se garant hardiment à moitié sur la chaussée, klaxonnant à qui mieux-mieux... Entendons-nous : tous le font, mais là, on est tombés sur un champion. Je vous épargne l'évocation de l'odeur de friture de ma voisine aux formes généreuses autant qu'encombrantes.

     Arrivés à UCT, après avoir erré sur deux campus avant de trouver le bon, on se retrouve en bas de l'escalier d'accès monumental, qui débouche sur une vaste entrée à colonnade néo-classique bon teint. Fat musique électro pourvue par un camion Red Bull, étudiants sud-afs (mais plutôt blancs) de partout sur les marches en mode casket/tong/short baggy, c'est bien simple, on se serait crus dans un épisode de Dawson style "Premier jour à la fac".

     Bon, cette introduction commence à tirer en longueur : le but de l'expédition était de retrouver la vingtaine d'élus inscrits auprès d'Ismail pour découvrir le township de Bonteheuwel. Après une quinzaine de minutes de car (qui représentent un obstacle nettement plus embêtant pour les gens qui vivent là, et qui auraient l'idée saugrenue de se rendre en centre-ville ou sur une célébrissime promenade que vous allez être amenés à connaître), nous nous sommes retrouvés sur une place assez triste, en compagnie d'un "art-ctivist" local, Ferdinand Van Tura. Comprendre ni artiste, ni activiste, mais néanmoins musicien ET porteur de projets d'intérêt social.

     Nous avons appris un certain nombre de choses, comme le fait que les ancêtres Xhosa/autochtones du type, qui est lui-même un genre de métis, ont repoussé les colons européens pendant des centaines d'années avant d'ACCEPTER leur présence pour limiter la casse point de vue karma de l'humanité. Bon, le type n'est pas historien. Mais cela lui a permis de nous expliquer la cosmogonie xhosa. L'humanité aurait régné sur la galaxie pendant fort longtemps, en tant qu'espèce intelligente supérieure (on aurait été faits à l'image du Créateur, le truc habituel). Forts de notre supériorité, nous aurions eu quelque peu tendance à massacrouiller les autres espèces, qui auraient fini par se liguer contre nous et nous jeter hors du Paradis. Paradis qui se trouve dans la constellation d'Orion, ce qui est toujours bon à savoir. L'humanité aurait atterri quelque part vers Cape Town (je me renseignerai), avant d'essaimer de par le monde. A ce stade, notre seule façon de retourner au Paradis serait de se racheter collectivement, le genre de portail vers le Paradis ne s'activant pas pour un péquin à la fois. Les implications morales de ce mythe ne sont pas sans rappeler le concept d'ubuntu, qui veut que chacun d'entre nous soit lié à l'humanité entière etc. Bref, je ne vous cache pas que j'ai quand même été surpris de me retrouver à écouter ce discours imaginatif, digne des plus grands esprits de notre temps, sur la place désaffectée d'un township sud-africain.

     La partie moins amusante est, bien sûr, que Ferdi est, encore aujourd'hui, victime de harcèlement policier régulier (après avoir été franchement séquestré et battu par les forces de l'ordre dans son jeune temps), qu'il a été complètement camé et alcoolique à une époque, à deux doigts du suicide, membre d'un gang... avant de devenir l'homme que vous rencontrâtes au paragraphe précédent.

      Au milieu de tout ça, on a vu très peu de Bonteheuwel, si ce n'est la place du marché informel et le chemin jusqu'à la maison de Ferdi. Un honnête marchand nous a d'ailleurs fait part de sa vision de la communauté et des améliorations à apporter au voisinage, "qui-sont-d'intérêt-communautaire-mais-qui-fortuitement-recoupent-parfaitement-l'intérêt-de-mon-business". Nous avons également rencontré une jeune fille assez marrante qui nous a suivi pendant toute la visite, s'est présentée à tout le monde et a bien discuté avec nous dès son premier mouvement de timidité passé. Là encore, la partie moins funky pour le citoyen du monde égalitariste que je suis a été le passage où elle nous a expliqué qu'elle préférait les blancs parce qu'eux, au moins, utilisaient leur cerveau, et parce qu'ils étaient plus propres. Si jamais elle devait avoir des enfants d'un blanc, elle espère que son sang serait assez fort pour l'emporter sur le sien et que les mômes tiennent plus de leur père que de leur mère... Pour vous dire ma surprise, j'avais d'abord compris qu'elle aimait les blancs car ils faisaient des braais (le nom afrikaner du barbecue), non parce qu'ils utilisaient leur brains (cerveau). Ambiance décalage culturel abyssal.

     Le tout s'est achevé par une chanson à la guitare d'un copain de Ferdi, Colin, dont c'était une composition originale et de belle qualité musicale. Cela aura également été l'occasion de sympathiser avec un anthropologue sud-af, Johnny, ainsi qu'avec Andrew, plus ou moins urbaniste et tout à fait étatsunien. Ce qui n'est pas le moindre des mérites de cette instructive sortie.

     PS : désolé pour le manque cruel de photos personnelles, je n'avais pas sur moi mon appareil. A charge de revanche pour vous, my little monsters !